En cherchant, comme je le fais habituellement, du côté de la sociologie, je me suis retrouvé en face d'un nouveau terme : Recherche-action. Marie-Anne Hugon et Claude Seibel, chercheureuses en science de l'enseignement, la définissent dans "Recherche action: le cas de l'éducation" comme une méthode de recherche scientifique dans laquelle "il y a une action délibérée de transformation de la réalité ; recherche[s] ayant un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations". Née dans la première moitié du XXe siècle, cette méthode de recherche a pris depuis des formes variées et parfois inattendues (réutilisation actuelle dans certaines entreprises) mais elles gardent toujours des caractéristiques communes : "L’ensemble des méthodes de recherche-action revendique un double objectif de changement concret dans le système social et de production de connaissances sur celui-ci. Elles se démarquent ainsi des recherches conventionnelles (comme l’étude de cas par exemple) en posant le changement de l’objet investi comme objectif à part entière de la recherche." -Florence Allard-Poesi et Véronique Perret, professeures en Études, Recherche et management
Se développe donc l'idée que certains champs universitaires, notamment depuis la structuration des philosophies postmodernes, peuvent avoir un réel effet sur la vie. On pourrait même dire que pour certain·es auteurices, Foucault ou Butler par exemple, l'aboutissement d'une pensée est précisément mesurée par les effets qu'elle produit.
Pour revenir aux fondements de la méthode recherche-action, les enquêtes menées modifient et affinent les plans d'actions qui produisent un changement du milieu analysé. Tous ces changements ayant pour but d'être pérennisés à la suite d'une intervention. En essayant de rapprocher cette méthode à d'autres pratiques hors du champ universitaire, je ne peux m'empêcher de penser au reportage d'investigation. Je pense notamment à l'émission de télévision "Cash investigation" produite par "premières lignes" qui a réussi, grâce à son travail d'analyse du milieu des grandes entreprises, à opérer des changements réels de comportement commerciaux et politiques.
Si s'est développé au sein de la recherche universitaire, mais aussi dans d'autres milieux, comme le journalisme ou le cinéma (CF le film "Merci Patron" de Francois Ruffin, député journaliste), une branche qui s'est emparée des méthodes de recherches-actions, alors pourquoi ne pourrait on pas imaginer une branche similaire au sein du milieu de l'art ? Les artistes intervenants qui sont par définition en contact avec des réalités socioculturelles sur le terrain pourraient faire naître une forme d'"art-action". Pour remplacer l'analyse scientifique que les champs des sciences sociales proposent, c'est en élaborant des productions artistiques collectives en lien avec un groupe, un espace, une communauté que des transformations peuvent émerger.
Marie-Anne Hugon et Claude Seibel rappellent le risque que l'action prenne le pas sur la recherche dans le cadre de la "recherche-action", mais l'"art-action" se trouve, lui, dans la situation particulière d'avoir la possibilité de ne pas se conformer aux codes et aux normes de la recherche universitaire. En acceptant que les modes d'évaluations des productions artistiques se reposent souvent sur des avis subjectifs, les artistes pourraient parfois avoir les mains encore plus libres que les chercheur·ses pour produire de l'action, du changement, de la transformation dans le milieu dans lequel il intervient.
/EXPERIENCE FANTASMÉE
Je propose, de manière spontanée, à plusieurs musées municipaux dont la programmation m'intéresse l'organisation d'ateliers non pas à direction du public mais pour toutes les personnes qui oeuvrent à l'intérieur de l'équipe du musée. Cette idée un peu étrange peine à convaincre mais finalement sur le nombre de propositions que j'envoie, le Musée d'art Moderne de Strasbourg accepte de tenter l'expérience.
Un groupe est alors formé, regroupant curateurices, suvrveillant·es de salles, agents de ménage, artistes associé·es, membres de l'administration du musée, membres de l'équipe technique, serveureuses du café du musée. Tout ce beau monde se retrouve pour travailler collectivement et est négocié, non sans mal, que toutes les personnes participant au projet le feront sur leurs heures de travail pour que cet atelier ai la mixité la plus grande possible. Bien évidement, tout le monde ne participe pas en même temps mais les ateliers sont l'occasion pour beaucoup de se croiser.
Les premières étapes de l'intervention proposent un travail plutôt visuel dans lequel je propose de jouer avec des images du musée pour donner une forme idéale aux espaces. Sont alors produits des photomontages, collages, dessins du musée qui pour certains sont très surréalistes mais d'autres beaucoup plus terre à terre. Je dois avouer m'intéressèrent particulièrement aux images produites par les agent·es d'entretiens et l'équipe technique qui produit des collages de plans qui mettent en évidence les problèmes qu'iels rencontrent dans leurs espaces de travail. Ces images produites finissent par intéresser les autres participant·es qui commencent à énoncer à la foi des critiques à l'égard des espaces et du fonctionnement du musée mais projettent aussi beaucoup d'idées nouvelles et innovantes, bien que souvent irréalistes, qui amélioreraient leurs conditions de travail. Certaines de ces propositions finissent par engendrer des frictions car les projections ne peuvent souvent pas se télescoper voir être parfois en complète contradiction.
Pour ne pas perdre cette énergie que je trouve très vive et très riche dans la production de plus de matière visuelle, je propose l'organisation de débats qui opposent les différentes propositions fictives. Pour ne pas intervenir dans les discussion, car je sens que j'en ai très envie, je propose à certain·es d'organiser une équipe de greffier·es. Les débats donnent lieu à de nombreuses archives sous la forme de comptes rendus de réunion.
Comme l'a était prévu lors de la mise en place du projet avec le musée, une restitution publique du travail est organisée sur une semaine. J'installe dans une salle du musée toutes les images et textes produits pendant les ateliers et propose pour l'occasion une permanence assurée par les participant·es au projet afin d'inclure le public dans le processus de réflexion pour prendre part aux débats initiés par le groupe. Bien qu'une semaine soit relativement courte, un petit groupe de fidèles se met en place, comme un comité de rêve.
Finalement cette restitution prend fin et le musée continue son parcours. Un peu déçu que cette intervention n'ai pas eu plus d'influence sur le fonctionnement de l'institution, je n'ai pas de retour concret sur le processus que j'ai initié. Comme pour me punir de mon impatience, c'est au bout d'une année, un temps normal de renouvellement de programmation que je me rends compte que de plus en plus d'événements proposent une inclusion du public hors du rôle classique de visiteur mais comme acteur actif de la vie du musée.
/TACTIQUES
Lors de l'organisation d'une intervention de ce type, il faudrait toujours prendre les précautions nécessaires pour que les membres d'un communauté, quel que soit leur rôle ou position dans un groupe soient inclus dans le processus. En tout cas, il faut avoir une attention particulière au fait que les portes leur soient ouvertes.
Une des choses à travailler (et particulièrement pour moi) est de ne pas essayer de calquer ses propres questionnements, idées ou positionnements aux besoins du groupe. Si la mise en place d'un cadre peut permettre plus de liberté, il ne faut pas enfermer les participant·es dans une méthode qui n'est pas la leur. Les potentielles actions doivent être imaginées par le groupe.
>Merci Patron - Francois Ruffin
>Les postmodernismes philosophiques en question,
Claire Pagès
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